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LIBÉRÉS EN MAI 1945
La proximité des
manifestations commémorant la "victoire du 8 mai 1945" m'amène à essayer de me
représenter quelles parties du Reich n'avaient été conquises par les Alliés que
dans la dernière semaine. Je récapitule :
- La plus grande partie du Schleswig-Holstein, - Une grande
partie du Mecklembourg, - Une grande partie de la Saxe et de la
Bohême-Moravie,
- L'ouest
de l'Autriche.
Le 1er mai,
Buchenwald, Dora, Bergen-Belsen, Flossenbürg, Sachsenhausen et Dachau, avaient
été libérés, depuis trois semaines pour Buchenwald et Dora. Mais les évacuations
avaient entraîné nombre de leurs prisonniers à des dizaines, voire des centaines
de kilomètres de leurs camps.
S'agissant des détenus de Dora-Mittelbau, la
grande majorité de ceux qui attendaient encore d'être libérés se trouvaient au
Mecklembourg et dans la partie proche du Brandebourg.
Je ne vais pas revenir sur le sort de l'ensemble
des détenus de Dora ou d'Ellrich qui se sont retrouvés là, mais évoquer deux
épisodes particuliers. Il s'agira d'abord de l'inclusion de certains d'entre eux
dans l'opération d'évacuation de Sachsenhausen en direction de Schwerin. Il
s'agira ensuite de la récupération des malades restés à Malchow par des
ambulances venues de Schwerin.
Parmi les convois ferroviaires qui ont quitté
l'ensemble Dora-Mittelbau au début d'avril 1945 les deux derniers ont été
finalement dirigés vers l'est. Les prisonniers du dernier convoi de Dora se sont
ainsi retrouvés à Ravensbrück. Ceux du dernier convoi d'Ellrich sont arrivés à
Sachsenhausen, où on a dûment répertorié les survivants, en leur donnant un
nouveau matricule. Le même accueil a été réservé à ceux qui arrivaient par la
route, et ce fut le cas des membres du Kommando de Rossla. Dans le convoi arrivé
d'Ellrich, se trouvaient de nombreux malades qu'on avait extraits du Revier ou
du Schonung, ainsi que les détenus constituant l'encadrement du Revier.
Peu de jours après l'arrivée des uns et des
autres, la décision a été prise d'évacuer à pied les détenus de Sachsenhausen et
d'Oranienburg en direction de Schwerin. Un certain nombre de détenus, en raison
de leur état, sont alors parvenus à rester sur place. On a en particulier sur
leur sort les remarquables témoignages d'Étienne Lafond et du Belge Raymond
Wautrecht. Les autres ont pris la route. Deux groupes, entre autres, sont restés
soudés. L'un comprenait l'équipe du Revier d'Ellrich, avec le Dr. Pierre
Ségelle, Raymond Grand, Henri Ertlen, Albert Besançon et le Belge Henri Van Aal.
L'autre groupe était celui du Kommando de Rossla, et leur historiographe a été
Max Dutilleux.
J'ai relu dans son livre, p.
156-158, l'évocation par Max de sa journée du 2 mai 1945, constitué d'une série de
tableaux d'une grande sobriété. Le premier est celui du réveil, "aux premières
lueurs de l'aube". Les SS ont disparu pendant la nuit. Max et ses amis de Rossla
quittent leur clairière et regagnent la route. Des Russes pendent un Kapo. Ils
ne s'attardent pas.
Tout le monde marche vers l'ouest, à la
rencontre des libérateurs dont on dit qu'ils sont américains : "les bagnards,
les civils allemands et même les soldats". Mais les Russes de Rossla partent
vers l'est, à la rencontre de leurs compatriotes.
Vers le milieu de l'après-midi, Max et
ses amis marchent "depuis sept ou huit heures". Ils voient arriver vers eux "un
drôle de petit véhicule", avec deux hommes à bord. C'est une jeep. Le conducteur
échange quelques mots avec un ami belge de Max, stupéfait de parler anglais avec
un Américain.
"Peu avant la tombée de la nuit", ils
arrivent près du lac de Schwerin, au milieu d'un véritable "fleuve humain". Les
Américains laissent passer tout le monde, mais désarment les soldats allemands,
qui sont faits prisonniers. Les déportés sont transportés par camion sur une
plage au bord du lac où se trouvent des tentes. On leur donne à manger.
Max s'endort sous une tente, et rêve. "Je
rêve que je sors d'un rêve. Je retrouve le monde réel dans un rêve. Ma
déportation m'apparaît comme irréelle ; elle n'a jamais eu lieu, c'était un
cauchemar... Dans mon sommeil, comme si j'avais les yeux ouverts, j'ai la
conscience claire que je suis libre, libre, libre ... C'est là le réel
!" Il conclut son chapitre par cette simple constatation : "Depuis
notre départ de Rossla, nous avions marché près de six cents kilomètres. "
J'ai retenu spécialement ces deux pages du
témoignage de Max Dutilleux, que j'ai à peine résumées, parce qu'elles
fournissent à la fois au lecteur une information précise sur la succession des
événements et un regard aigu sur l'essentiel. L'historien ne peut rien
souhaiter de mieux. L'ami imagine les scènes et est ému.
Les jours suivants, Max les passe en grande
partie à Schwerin, dans une caserne Adolf Hitler qui a été réservée à l'accueil
des déportés. C'est là que le Dr. Ségelle et ses amis du Revier du Dora, arrivés
eux aussi à Schwerin, se dévouent pour leurs camarades avant d'être eux-mêmes
rapatriés.
À la réflexion, le récit de Max Dutilleux, tout
à fait exact, est aussi tout à fait surprenant, n s'étend sur toute une journée,
des premières lueurs de l'aube à la tombée de la nuit. Au réveil, les marcheurs
devaient être quelque part au nord de Parchim ; le soir, ils sont à Schwerin.
Ils sont dans une partie de l'Allemagne où la guerre n'est pas terminée et
pourtant il ne s'y passe rien. Les déportés cheminent au milieu d'un fleuve
humain où se trouvent aussi des soldats allemands en armes et on n'entend pas de
tirs. Max ne signale aucun passage d'avion. Les seuls militaires actifs sont les
deux soldats américains de la jeep, pas du tout menaçants. Cela mérite quelques
explications.
Pour écrire mon livre, et spécialement la
partie consacrée aux évacuations, je me suis beaucoup intéressé aux opérations
militaires, à leur localisation et à la chronologie. Mais je n'ai trouvé, sur
les événements de cette partie précise de l'Allemagne à cette époque précise,
que des indications partielles, et parfois même erronées.
Il est bien établi que les Américains ont
atteint l'Elbe près de Magdebourg dès le 11 avril 1945. Ils se sont installés
rapidement le long de l'Elbe vers l'aval, sur la rive gauche, sans chercher à
franchir le fleuve entre Wittenberge et Lauenburg. C'est pourtant ce qu'ils
font, brusquement, le 30 avril, jour où ils parviennent au camp de Wôbbelin, qui
abrite un Kommando dépendant de Neuengamme. Ils prennent le contrôle de Schwerin
et s'avancent jusqu'à la Baltique. Ils interdisent ainsi la progression des
troupes allemandes qui retraitent vers l'ouest, poussées par les Russes. Mais il
n'y a pas de combat.
Tout se passe comme si un accord de
capitulation était intervenu localement entre le commandement américain et le
commandement allemand. Une ligne a été établie le long de laquelle les
militaires allemands qui se présentent, quels que soient leur arme et leur
grade, sont désarmés et faits prisonniers. Le témoignage de Max est sans
équivoque, et confirmé par beaucoup d'autres. Ayant abandonné leurs prisonniers,
les SS de Max avaient détruit leurs munitions dans un bois voisin avant d'aller
ainsi se rendre.
Tout se passe aussi comme si les
états-majors américain et russe s'étaient mis d'accord sur une ligne de
démarcation entre leurs troupes. Plusieurs témoignages font état d'une
libération par des chars américains dans des villages qui ont été occupés
ensuite par les Russes. Tout s'est ainsi déroulé dans un calme très relatif pour
les Américains qui ont eu alors la lourde charge d'accueillir tous ceux qui
fuyaient vers l'ouest, et en particulier les civils de tous âges venus parfois
de très loin. Personne, à ma connaissance, n'a été alors refoulé.
À l'ouest des Américains, les Britanniques ont
aussi franchi l'Elbe et sont arrivés à Lübeck le 2 mai. C'est là que se trouve
l'Oflag XC, où sont prisonniers des officiers auxquels les autorités allemandes
ont porté un intérêt particulier, en tant que juifs, comme Robert Blum, le fils
de Léon Blum, ou en raison de leurs tentatives répétées d'évasion. Il y a là des
Polonais, des Yougoslaves, des Britanniques et de nombreux Français, dont le
député de la Somme Max Lejeune, passé auparavant par la forteresse de Colditz.
Des officiers français se mettent alors à la
disposition des autorités britanniques pour aider à l'identification et à
l'encadrement des ressortissants français se trouvant dans la région, en vue de
leur rapatriement. Un bon nombre de ceux-ci avaient reflué vers l'ouest avec les
Allemands, comme des SS de la Division Charlemagne, dont j'avais côtoyé un
représentant sur une route du Mecklembourg. Dans le Comité d'Accueil Français
que dirige Max Lejeune se trouvent une quarantaine de capitaines et de
lieutenants dont l'historien Fernand Braudel.
J'ai lu récemment la biographie de Max Lejeune
par un jeune journaliste-historien, Jean-Marc Binot. n donne quelques détails
sur l'activité de ce CAF, et en particulier sur une intervention datée du 24
mai. Ce jour-là, Max Lejeune est allé chercher depuis Schwerin, avec 10
ambulances de la Croix-Rouge américaine, 126 déportés qui étaient restés au camp
de Malchow. J'ai eu ainsi un recoupement tout à fait inattendu avec une histoire
que j'avais racontée dans mon livre, p. 397, à partir des témoignages de nos
camarades Jean Cormont et André Cardon.
Ceux-ci, très jeunes l'un et l'autre
et valides, étaient demeurés sur place pour veiller sur le sort de leurs
camarades incapables de marcher. Certains de ceux-ci, arrivés affaiblis à
Ravensbrück, avaient déjà été transportés par camions jusqu'à Malchow. C'était
le cas de Jean-Paul Renard, de Richard Pouzet, de Raymond de Miribel. D'autres,
comme Joseph Woussen, avaient marché jusqu'à Malchow, mais ne pouvaient pas
continuer. Comme historien, j'ai toujours accordé une grande importance aux
témoignages. Je suis heureux que les textes de Jean Cormont et de Max Lejeune
aient fini par être ainsi confrontés.
André Sellier.
Les seuls militaires actifs sont les deux soldats
américains de la jeep, pas du tout menaçants.Cela mérite quelques explications.
Pour écrire mon livre, et spécialement la partie consacrée aux évacuations, je
me suis beaucoup intéressé aux opérations militaires, à leur localisation et à
la chronologie. Mais je n'ai trouvé, sur les événements de cette partie précise
de l'Allemagne à cette époque précise, que des indications partielles, et
parfois même erronées.
Il est bien établi que les Américains ont
atteint l'Elbe près de Magdebourg dès le 11 avril 1945. fls se sont installés
rapidement le long de l'Elbe vers l'aval, sur la rive gauche, sans chercher à
franchir le fleuve entre Wittenberge et Lauenburg. C'est pourtant ce qu'ils
font, brusquement, le 30 avril, jour où ils parviennent au camp de Wôbbelin, qui
abrite un Kommando dépendant de Neuengamme. Ils prennent le contrôle de Schwerin
et s'avancent jusqu'à la Baltique. Ils interdisent ainsi la progression des
troupes allemandes qui retraitent vers l'ouest, poussées par les Russes. Mais il
n'y a pas de combat. Tout se passe comme si un accord de capitulation était
intervenu localement entre le commandement américain et le commandement
allemand. Une ligne a été établie le long de laquelle les militaires allemands
qui se présentent, quels que soient leur arme et leur grade, sont désarmés et
faits prisonniers. Le témoignage de Max est sans équivoque, et confirmé par
beaucoup d'autres. Ayant abandonné leurs prisonniers, les SS de Max avaient
détruit leurs munitions dans un bois voisin avant d'aller ainsi se
rendre.
Tout se passe aussi comme si les
états-majors américain et russe s'étaient mis d'accord sur une ligne de
démarcation entre leurs troupes. Plusieurs témoignages font état d'une
libération par des chars américains dans des villages qui ont été occupés
ensuite par les Russes. Tout s'est ainsi déroulé dans un calme très relatif pour
les Américains qui ont eu alors la lourde charge d'accueillir tous ceux qui
fuyaient vers l'ouest, et en particulier les civils de tous âges venus parfois
de très loin. Personne, à ma connaissance, n'a été alors refoulé.
À l'ouest des Américains, les Britanniques ont
aussi franchi l'Elbe et sont arrivés à Lùbeck le 2 mai. C'est là que se trouve
l'Oflag XC, où sont prisonniers des officiers auxquels les autorités allemandes
ont porté un intérêt particulier, en tant que juifs, comme Robert Blum, le fils
de Léon Blum, ou en raison de leurs tentatives répétées d'évasion. Il y a là des
Polonais, des Yougoslaves, des Britanniques et de nombreux Français, dont le
député de la Somme Max Lejeune, passé auparavant par la forteresse de Colditz.
Des officiers français se mettent alors à la disposition des autorités
britanniques pour aider à l'identification et à l'encadrement des ressortissants
français se trouvant dans la région, en vue de leur rapatriement. Un bon nombre
de ceux-ci avaient reflué vers l'ouest avec les Allemands, comme des SS de la
Division Charlemagne, dont j'avais côtoyé un représentant sur une route du
Mecklembourg. Dans le Comité d'Accueil Français que dirige Max Lejeune se
trouvent une quarantaine de capitaines et de lieutenants dont l'historien
Fernand Braudel.
J'ai lu récemment la biographie de Max Lejeune
par un jeune journaliste-historien, Jean-Marc Binot. On donne quelques détails
sur l'activité de ce CAF, et en particulier sur une intervention datée du 24
mai. Ce jour-là, Max Lejeune est allé chercher depuis Schwerin, avec 10
ambulances de la Croix-Rouge américaine, 126 déportés qui étaient restés au camp
de Malchow. J'ai eu ainsi un recoupement tout à fait inattendu avec une histoire
que j'avais racontée dans mon livre, p. 397, à partir des témoignages de nos
camarades Jean Cormont et André Cardon. Ceux-ci, très jeunes l'un et l'autre et
valides, étaient demeurés sur place pour veiller sur le sort de leurs camarades
incapables de marcher. Certains de ceux-ci, arrivés affaiblis à Ravensbrûck,
avaient déjà été transportés par camions jusqu'à Malchow. C'était le cas de
Jean-Paul Renard, de Richard Pouzet, de Raymond de Miribel. D'autres, comme
Joseph Woussen, avaient marché jusqu'à Malchow, mais ne pouvaient pas continuer.
Comme historien, j'ai toujours accordé une grande importance aux témoignages. Je
suis heureux que les textes de Jean Cormont et de Max Lejeune aient fini par
être ainsi confrontés.
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